Deucalion

A l’heure où se pose la question du réchauffement climatique issu du développement déraisonnable de nos sociétés industrielles, de l’élévation du niveau des mers qui à terme mettra en péril les populations deltaïques et insulaires, à l’heure où l’Église invente le péché de pollution, il est tentant d’effectuer un rapprochement avec certains récits mythologiques et tout particulièrement ceux renvoyant aux mythes diluviens (Noé, Deucalion) dans lesquels l’humanité pécheresse est anéantie par les eaux afin que puisse renaître une humanité nouvelle. Doit-on se préparer à ce que le monde devienne un enfer humide? Celui de Dante était un enfer de glace.
Un pan de mon travail aborde ce passage possible de la terre à l’eau . Étape au cours de laquelle s’opère une palmation des outils à vocation agricole. Il envisage aussi l’éventualité qu’un recommencement puisse se faire sans nous. Ainsi un cintre libre, un râteau qui s’animalise ou se végétalise deviennent autant de figures propres à signifier un nouveau départ sans la présence humaine.
Un autre versant traite du moment ou l’homme sera confronté à « ce futur incertain » (futur dont parle Hubert Reeves quand il évoque les grandes menaces d’ordre écologique auxquelles nous allons devoir faire face). A ces défis prochains, j’oppose des solutions éminemment pratiques: une pelle-hélice en cas de soudaine montée des eaux, un râteau pliable aisé de transport en cas d’exode… Pour autant, je me refuse à tout pessimisme définitif, pour preuve, certains de mes objets sont démontables afin qu’ils puissent, le cas échéant, retrouver leur fonction initiale. Ainsi lorsque sera ôté l’ardillon qui arme la pointe d’un hameçon, ce dernier redeviendra faucille.
Ces objets perdront leur statut d’objet artistique dés lors que le temps venu, il faudra pour les utiliser, les soustraire à leur espace de présentation. Je montre malgré tout que je ne suis pas dupe de l’efficience de mes fabrications ( cf série des leurres ). Ces objets, élaborés sans savoir-faire particulier, s’inscrivent volontairement dans une esthétique du bricolage dans laquelle le dérisoire se lie à la dérision comme pour mieux suggérer l’insignifiance de l’homme et de son destin.